• 28.02.2019 17:00—19:00
Chapelle, 120’

Lorsque l’Observatoire de la liberté de création s’est fondé en 2003, je dirai que les choses étaient relativement simples. La censure était l’outil de ceux qui, traditionnellement, souhaitent un retour de l’ordre moral. S’en prendre aux œuvres leur permettait de faire valoir très publiquement leurs causes, la défense de leur morale, de leur vision de l'enfance, de leur religion, de leur conception des rapports hommes femmes, etc.
La censure était, moins souvent, politique, quand elle touchait à des faits comme la guerre d’Algérie, ou au conflit israélo-palestinien.
Aujourd’hui, les groupes de censure se sont démultipliés et certaines organisations censément progressistes usent des mêmes armes que les réactionnaires, ce qui les gêne. Alors on se cache derrière les mots et on prétend ne pas réclamer l’interdiction (c’est mal), mais l’annulation (c’est plus chic). On ne va plus devant le tribunal (c’est mal), on pétitionne sur internet, on fait pression, on manifeste contre (tout cela étant censé être bien).
Mais à utiliser les armes de l’extrême droite, les nouveaux "progressistes" font tomber des digues, au nom de causes parfaitement justes (lutte contre le racisme, contre les violences contre les femmes), qui ne méritent pas tant de confusion.
Le débat autour des œuvres, celui qui permet, dans l’esthétique kantienne, d'échanger le plus démocratiquement qui soit en tenant l’autre pour son égal, a été remplacé par la polémique puritaine et sophiste, l’autre n’étant plus à convaincre à armes égales, mais à vaincre ou à circonvenir.
La seule chose réjouissante dans tout cela, si l’on apprécie l’ironie, c’est que l’œuvre est toujours considérée comme dangereuse.

Agnès Tricoire est avocate au Barreau de Paris, initiatrice et déléguée de l'Observatoire de la liberté de création, créé sous l'égide de la Ligue française des droits de l'Homme (LDH).

En parte­nar­i­at avec :
le Mas­ter en Arts du Spec­ta­cle et le CiASp / Cen­tre de recher­ché en ciné­ma et arts du spec­ta­cle vivant de l’U­ni­ver­sité Libre de Bruxelles