Chaque année, le Festival International des Brigittines opère une traversée orientée des formes scéniques contemporaines: langages novateurs, univers insolites, formes singulières et originales s’ouvrant à l’imaginaire.

Le Festival rassemble des spectacles qui s’articulent autour d’une idée ou qui se présentent comme des objets de pensée, d’invention ou de partage fantasmatique.

Le Festival se donne chaque année un thème qui permet de poser une nouvelle question et d’orienter autrement le regard du spectateur: des rapprochements lui sont proposés, des voies de sensibilité, des pistes de lecture. Il peut créer, selon sa perception, des liens entre des spectacles très différents dans les styles, mais qui abordent des sujets assez proches.


"ZONES DE FLOTTEMENT ET TOURBILLONS"

Dans un récent roman de Jón Kalman Stefánsson*, grand écrivain islandais, une émotion intense surgit des zones de flottement où s’efface la distinction entre ce qui tient du récit et ce qui procède de notre imagination.
Ces points d’incertitude créent le sentiment d’entrer dans un monde inconnu mais qui est aussi parfaitement nôtre.

Sur la scène actuelle, des ébranlements de cet ordre adviennent, face à la sensation troublante de ne pas savoir quoi penser devant ce que l’on voit. Ces instants de basculement, de totale indécision sont précieux. Nous ne savons pas ce qu’il faut penser, et c’est justement cela qui nous porte ailleurs que ce qu’il nous est habituellement donné à sentir et à vivre.

Cet ailleurs est libérateur, pour nous-mêmes, vis-à-vis de ce qui nous enferme dans la banalité de l’existence, dans les passages cloutés d’une actualité où tout s’accélère et se transforme sans réelle nouveauté. Ce ne sont pas les mondes virtuels ni l’intelligence artificielle qui vont changer la nature des passions tristes, des obsessions de pouvoir et des violences pulsionnelles (même si celles-ci se déclineront sans doute sous de nouvelles formes).

Surtout, ces tutoiements de l’ailleurs et de l’autrement nous projettent dans un tourbillon de perceptions, loin de la stérilité des poteaux identitaires et des appels à la réassurance
qui voudraient que la création soit propre sur elle, imbibée de morale et de bien-pensance — de l’air du temps. Mais le temps est souvent pluvieux et ruisselant de conformisme et de normativité.

La scène, nous la désirons libre comme le mouvement d’un corps qui invente ses formes et sa dynamique, ses conditions d’existence, son potentiel d’humour et ses registres imaginaires. Une scène qui se cherche dans le sensible et le singulier, et le saisissement émerveillé d’être au monde.


Patrick Bonté
Direction générale et artistique


* "Ton absence n'est que ténèbres", Grasset
Photo Festival 24 © Sari Soininen