Incertaine et confuse, saturée de menaces, notre époque offre un visage de brouillard où l’on avance sans savoir. À travers les mutations ultra-rapides, le profit et sa religion délétère, le retour des nationalismes et des tyrans, un poison se répand, dégouline, infecte les esprits. La course à l’abîme est maquillée de mensonges et d’une étrange indifférence, comme s’il était inutile de tenter d’échapper à la négativité. Des oppositions s’organisent bien sûr, des voix s’élèvent, mais elles se noient dans la corruption des discours et la démoralisation des volontés.

Si la théorie du ruissellement économique est éminemment contestable, celle d’une contagion toxique l’est en revanche beaucoup moins: prolifération virale des égoïsmes, fécondation à ciel ouvert des intérêts immédiats hypothéquant l’avenir, mainmise du sophisme sur la réflexion, concession donnée à la logique du chiffre d’effacer celle de l’humain, contamination du haut vers le bas, depuis la tête jusqu’aux membres...

Et pourtant... rien n’est fait.

Cela gronde de partout, et l’art, dans ses multiples fonctions, a certainement un rôle d’antidote à jouer dans cette constellation sombre: celui d’une étoile dont la lumière magnétique aimante nos attentes d’ailleurs, d’autrement.
Toute œuvre s’entend par le mouvement fantasmatique et critique qu’elle suscite, les affranchissements qu’elle encourage: c’est la ligne de sens et d’ouverture que les spectacles déroulent tout au long du festival.
Quel que soit leur impact sur le réel, les formes scéniques imaginatives qui créent des mondes singuliers préservent le sensible et tiennent l’esprit en éveil. Si l’art ne guérit pas, et même s’il véhicule ses propres poisons, il déverrouille des portes, dégage des voies, annonce des aurores qui sauvent de tous les crépuscules.

L’aube, comme une promesse..

Patrick Bonté
Direction générale et artistique


Visuel (c) Chantal Michel